Wednesday, June 30, 2004

(TRANSCENDANCE ET MATIERE)

"(...) Vous vous méprenez en supposant que je n'aime pas les transcendantalistes. Ce sont seulement les prétentieux et les sophistes d'entre eux que je réprouve. Mon opinion personnelle est bien à moi. Vous la trouverez quelque peu détaillée dans un des prochains numéros du 'Columbian Magazine' qui paraît ici. J'ai écrit pour cette revue un article intitulé 'Révélation Magnétique' que vous lirez. Il paraîtra dans la livraison d'août ou de septembre.
Je m'éloigne de vous dans ce que vous dites de la marche en avant de l'humanité vers la perfection. A l'heure présente, l'homme est seulement plus actif, il n'est pas plus sage ni plus heureux qu'il ne l'était il y a six mille ans. Dire que nous sommes meilleurs que nos ancêtres, c'est faire des âges passés uniquement le rudiment du présent et de l'avenir, tandis que chaque individu humain est le rudiment d'un être futur matériel et non spitituel. Ce serait supposer Dieu injuste que de supposer que ceux qui sont morts avant nous possédaient moins d'avantages que nous-mêmes. Il n'est point de nature spirituelle. Dieu est matière. Toutes les choses sont matière; mais la matière de Dieu possède toutes les qualités que nous attribuons à l'Esprit; de telle sorte que la différence n'est guère plus qu'une différence de mots. Supposez une matière imparticulée, sans composition atomique: voilà Dieu. Elle pénètre et pousse toutes choses et par là contient toutes choses en elle-même. Son agitation est la pensée de Dieu, et est créatrice. L'homme et tous les autres êtres (habitant les étoiles) sont des fragments de cette matière imparticulée, individualisée en s'incorporant à la matière ordinaire ou particulée. Ainsi ils existent rudimentairement. La mort est une métamorphose douloureuse. Le ver devient papillon -- mais le papillon est encore matière -- d'une matière toutefois qui ne peut être reconnue par nos organes rudimentaires. Mais pour les nécessités de notre vie rudimentaire, il n'y aurait ni étoiles -- ni mondes -- rien que nous appelons matière. Ces lieux sont les résidences des choses rudimentaires. A la mort, ces choses, prenant une nouvelle forme, d'une nouvelle matière passent n'importe où, et font toutes choses par simple volition, et connaissent tous les secrets de l'agitation de la matière imparticulée, sauf le SEUL, la nature de la volition de Dieu. (...)"

(Extrait d'une lettre au poète Th. H. Chivers datée du 10 juillet 1844. Traduction d'O. Uzanne -- 1907.)

Monday, June 28, 2004

(OSTRACISME...)

Il est hors de doute que si le roman "GEORGE BALCOMBE", du Professeur N. Beverley Tucker, avait été l'oeuvre de quelque écrivain, si obscur fût-il, né au nord de la ligne Mason et Dixon, on l'aurait depuis longtemps proclamé l'un des plus nobles qu'ait jamais composés un Américain. Il est à peu près aussi remarquable que le "CALEB WILLIAMS" de Godwin. La méthode suivant laquelle la cabale de la NORTH AMERICAN REVIEW écrit d'abord tous nos livres et les passe ensuite complaisamment en revue me remet en mémoire la fable d'Avianus "Le Chasseur et le Lion". Il est grand temps que la littérature du Sud assume enfin elle-même la défense de ses propres intérêts.

("Marginalia" -- avril 1849. Texte recueilli dans l'édition posthume de 1850. Traduction de V. Orban -- 1913.)

(LE MEILLEUR ROMAN AMERICAIN?)

"Nous n'hésitons pas à considérer le 'GEORGE BALCOMBE' de Beverley Tucker comme le MEILLEUR roman américain. Il n'existe pour chaque pays, pensons-nous, que peu d'ouvrages surpassant celui-ci dans ce genre particulier. Le récit ne cesse d'être captivant jusqu'à la fin. A chaque page, l'auteur fait preuve d'un talent remarquable, dont les traits les plus caractéristiques sont l'invention, la vigueur et presque l'audace de la pensée; -- une grande variété dans ce que les critiques allemands appellent l'INTRIGUE; -- une extrême habileté et beaucoup de fini dans l'adaptation des diverses parties. Rien ne manque à l'ensemble parfait, et, à vrai dire, il ne s'y trouve rien qui soit déplacé ou amené mal à propos. Bien que nous n'ayons pas la moindre velléité de le taxer d'imitation, ce roman n'est toutefois pas exempt d'un certain air de famille rappelant le 'CALEB WILLIAMS' de Godwin. Si nous tenons ainsi le 'GEORGE BALCOMBE' en haute estime, il ne faut pourtant pas en conclure que nous songeons à le ranger parmi les plus brillantes productions de quelques romanciers anglais contemporains. A propos de l'auteur de ce livre, il nous est revenu à la mémoire une petite conversation dont le sujet n'a pas encore été rapporté jusqu'ici. Mais pourquoi, ou plutôt COMMENT garderions-nous le secret plus longtemps? L'esprit du personnage principal de ce roman est la copie d'un esprit qui nous est familier, copie qui n'a pas été faite à dessein, nous le voulons bien, mais sur laquelle il ne subsiste aucun doute. Nous sommes persuadé, en effet, que George Balcombe ne parle, ne pense et n'agit pas autrement que le faisait naguère le Juge Beverley Tucker lui-même."

(Extrait du compte-rendu critique de "George Balcombe", roman anonyme de N. B. Tucker -- janvier 1837. Reproduit sous cette forme, parmi les "Marginalia", dans l'édition posthume de 1850. Traduction de V. Orban -- 1913.)

Saturday, June 26, 2004

(METHODE DE COMPOSITION)

On pourrait écrire un excellent article en prenant pour sujet les degrés successifs suivant lesquels une grande oeuvre d'art -- surtout d'art littéraire -- arrive à son achèvement. Que la distance est grande, toujours, entre le germe et le fruit, -- entre l'oeuvre et la conception originale! Parfois la conception originale est abandonnée ou même complètement perdue de vue. Beaucoup d'auteurs s'asseoient pour écrire sans idée précise, confiants dans l'inspiration du moment; ne soyons pas surpris, par conséquent, que beaucoup de livres soient sans valeur. La plume ne devrait jamais toucher le papier sans qu'un dessein GENERAL bien mûri ait été au moins conçu. Dans la fiction le DENOUEMENT, dans toutes les autres compositions l'EFFET cherché, doivent être définitivement étudiés et arrêtés avant que d'écrire le premier mot; et aucun mot ne devrait être écrit qui ne tende pas, ou ne fasse partie d'une phrase tendant au développement du DENOUEMENT ou au renforcement de l'EFFET. Quand l'INTRIGUE fait partie de l'intérêt recherché, on ne saurait apporter trop de réflexion. Ce mot d'INTRIGUE est très imparfaitement compris et n'a jamais été correctement défini. Beaucoup de gens croient qu'il s'agit d'une simple complication d'incidents. Dans sa plus rigoureuse acception, l'intrigue est CE DONT AUCUN ATOME COMPOSANT NE PEUT ETRE ENLEVE, CE DANS QUOI AUCUN ATOME COMPOSANT NE PEUT ETRE DEPLACE, SANS TOUT RUINER; et bien qu'une intrigue passable puisse être bâtie, sans répondre strictement à la rigueur de la définition, c'est cependant cette définition qu'un véritable artiste ne doit jamais perdre de vue, et qu'il doit s'efforcer d'accomplir dans ses oeuvres. Quelques auteurs, pourtant, semblent totalement dépourvus de sens constructif, d'où il résulte qu'ils échouent remarquablement dans leurs intrigues, malgré l'abondance de leur invention. Dickens appartient à cette classe. Dans "BARNABE RUDGE", par exemple, on ne constate aucune habileté d'ARRANGEMENT. Godwin et Bulwer sont les meilleurs constructeurs d'intrigues de la littérature anglaise. Godwin a laissé une préface à son "CALEB WILLIAMS" dans laquelle il dit que le roman a été ECRIT A RECULONS: l'auteur a d'abord achevé le second volume, dans lequel le héros est entraîné dans un labyrinthe de difficultés, puis il a cherché des combinaisons pour trouver une cause suffisante à ces difficultés, afin d'y accommoder le premier volume. Ce système ne peut sûrement pas être recommandé; mais il illustre l'idiosyncrasie de Godwin. Le "POMPEI" de Bulwer est un exemple d'intrigue admirablement menée, mais son "NUIT ET MATIN" sacrifie à la SIMPLE intrigue des intérêts de beaucoup plus grande valeur.

(Sixième pièce du "Chapitre de Suggestions" publié dans "L'Opale", fin 1844. Traduction de Ph. Dally -- 1939.)

Friday, June 25, 2004

(BILAN...)

"(...) Et vous me demandez POURQUOI on me juge AUSSI MAL, POURQUOI j'ai des ennemis. Si la connaissance que vous avez de mon caractère et de ma carrière ne vous permet pas de répondre à cette question, du moins il ne m'appartient pas A MOI de vous suggérer la réponse. Qu'il suffise de dire que j'ai eu l'audace de rester pauvre, pour conserver mon indépendance, -- que pourtant, jusqu'à un certain point et à certains égards, j'ai "réussi" dans la littérature, -- que j'ai été un critique scrupuleusement honnête et dans certains cas assez dur, -- que j'ai pareillement attaqué, quand je les attaquais, ceux qui occupaient les plus hautes situations de pouvoir ou d'influence, -- et que, soit en littérature, soit dans le monde, j'ai rarement hésité à exprimer, soit directement, soit indirectement, le parfait mépris que m'inspirent les prétentions de l'ignorance, de l'arrogance et de l'imbécillité. Et vous qui savez tout cela, VOUS me demandez POURQUOI j'ai des ennemis! Ah! j'ai cent amis pour un ennemi personnel, mais vous est-il seulement venu à l'idée que vous ne vivez pas parmi mes amis?
Si vous aviez lu mes critiques en général, vous auriez su pourquoi tous ceux que vous connaissez le plus me connaissent le moins et sont mes ennemis. (...)"

(Extrait d'une lettre adressée à la poétesse S. H. Whitman, datée du 18 octobre 1848. Traduction de G. Mourey -- 1910.)

(UNE ETRANGE PLANETE)

Mystérieuse étoile!
Tu fus mon rêve
Toute une longue nuit d'été...
Sois maintenant mon sujet!
Près de ce clair ruisseau
J'écrirai de toi;
De temps en temps, de loin,
Baigne-moi dans ta lumière.


Ton monde n'a pas les tares du nôtre,
Mais toute la beauté -- toutes les fleurs
Qui écoutent notre amour ou parent nos bosquets
Dans les jardins des rêves, où reposent
Tout le jour les rêveuses jeunes filles;
Tandis que les vents argentins de Circassie
Sur des couches de violettes s'évanouissent.


Peu -- oh! bien peu habite en toi
Qui ressemble à ce que nous voyons sur terre;
Ici les yeux de la Beauté sont les plus bleus
Chez celle qui est la plus fausse et la plus infidèle --
Sur l'air le plus suave flotte
La note la plus triste et la plus solennelle --
Si chez toi les coeurs sont brisés,
La joie si paisiblement s'en va
Que son écho toujours demeure
Comme le murmure dans le coquillage.
Toi! ton plus vrai symbole de peine
Est la feuille qui, doucement, tombe...
Toi! Si sacré est ton domaine
Que la douleur n'est pas même la mélancolie.



(En 1831, Poe remplaça les quinze premiers vers d'"Al Aaraaf" -- son long poème d'inspiration plotinienne publié en 1829 -- par ceux que nous donnons ici, mais qu'il supprimera pour toutes les éditions postérieures. Traduction de G. Mourey -- 1910.)

(ORIGINALITE EXEMPLAIRE)

"L'originalité dans la composition de personnages fictifs ne doit être admise et louée en bonne critique que quand ces personnages montrent des côtés connus de la vie réelle, mais non encore décrits, -- c'est là un hasard qui n'arrive presque plus; -- ou bien encore quand ces personnages fictifs présentent des qualités physiques ou morales qui, quoiqu'on les sache purement imaginaires, s'adaptent si bien au reste, que notre sens du convenable n'en est pas blessé, et que nous en venons à chercher pourquoi ces qualités, que nous tenons pour supposées, n'existeraient pas réellement. Cette dernière sorte d'originalité appartient aux régions les plus élevées de l'IDEAL."

(Extrait du compte-rendu critique de "George Balcombe", roman anonyme de N. B. Tucker -- Janvier 1837. Reproduit sous cette forme, parmi les "Marginalia", dans l'édition posthume de 1850. Traduction d'E. Hennequin -- 1882, retouchée par V. Orban -- 1913.)

Tuesday, June 22, 2004

(LARCINS ABJECTS)

"Le pick-poket ordinaire dérobe une bourse et tout est dit. Il ne se targue pas ouvertement de la somme que lui a rapportée son vol et il n'accuse pas la personne dépouillée d'avoir commis le larcin. Ce sont là tout autant de points par lesquels le filou commun l'emporte sur le filou littéraire. Il est impossible, selon nous, d'imaginer un spectacle plus dégoûtant que celui d'un plagiaire, marchant d'un pas victorieux, le coeur orgueilleusement agité, au souvenir d'applaudissements qu'il sait être dus à un autre. La pureté, la noblesse, l'idéalité de toute gloire méritée, forment avec l'action grossière de voler, un contraste qui donne au crime de plagiat son détestable aspect. Il nous répugne de trouver dans le même homme le désir noble de cette gloire et la propension basse à la rapine. C'est cette anomalie, ce désaccord qui nous choquent."

(Extrait d'une chronique éditoriale de septembre 1845, ce texte apparaît sous cette forme parmi les "Marginalia" de l'édition posthume de 1850. Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

(L'ESPRIT D'IMITATION)

"(...) Les imitateurs ne manquent pas nécessairement d'originalité dans les passages où ils n'imitent pas. Mr Longfellow qui est décidément l'imitateur le plus audacieux d'Amérique, est original à un degré marqué: en d'autres termes, il ne manque pas d'imagination. C'est ce second fait qui empêche certaines personnes de croire au premier. Le sentiment exquis de la beauté, le sentiment poétique, par opposition à la PUISSANCE poétique, conduit presqu'inévitablement à l'imitation. C'est ainsi que tous les grands poètes ont été de grands imitateurs. Toutefois c'est une pure NON DISTRIBUTIO MEDII, que de partir de là pour dire que tous les grands imitateurs sont de grands poètes. (...)"

("Marginalia" -- Avril 1846. Incomplètement reproduit, tel qu'ici, dans l'édition posthume de 1850. Traduction, légèrement retouchée, d'E. Hennequin -- 1882.)

Monday, June 21, 2004

(POESIE ET PLAGIAT)

"(...) Le sentiment poétique suppose une vive appréciation du beau avec un intense désir de se l'assimiler. C'est ainsi que ce que le poète admire profondément devient par ce fait même en partie inséparable de son âme, y prenant comme un second développement, si bien que le poète, qui subit ainsi la pensée d'un autre, ne peut passer pour s'en emparer. Il la croit très sincèrement SIENNE, croyance qui ne peut être contredite que par la preuve sensible de cette réelle origine de la pensée dans le volume d'où elle provient: car il est inévitable qu'après un long laps de temps, cette origine se trouve oubliée, comme bien souvent la pensée elle-même. Mais la plus légère association peut la ranimer; elle se développe alors avec toute la vitalité d'une naissance nouvelle; sa parfaite originalité ne fait pas pour le poète l'ombre d'un doute; aussi personne ne sera-t-il plus grandement étonné que lui, quand, une fois écrite et imprimée, on viendra l'accuser de plagiat. Il en résulte à mon avis que le danger d'éprouver de pareils accidents est en raison directe du sentiment poétique, de l'aptitude aux impressions poétiques; et toute l'histoire littéraire démontre, en fait, qu'il n'y a, pour les cas les plus fréquents et les plus flagrants de plagiat, qu'à feuilleter les oeuvres des poètes les plus éminents."

(Conclusion du post-scriptum au long feuilleton polémique "Imitation -- Plagiat...." dirigé essentiellement contre Longfellow -- avril 1845. Traduction d'E. Lauvrière -- 1904.)

Sunday, June 20, 2004

(CHEMINEMENT D'IDEE)

"Presque tous les penseurs seront surpris de constater, en examinant rétrospectivement le monde de la pensée, que TRES fréquemment les premières impressions, les intuitives, ont été les vraies. Un poème, par exemple, enchante notre jeunesse. Dans l'adolescence, nous nous rendons compte qu'il est plein de défauts. Dans les premières années de la virilité, nous le méprisons profondément et nous le condamnons; et ce n'est que quand l'âge mûr a donné de l'accent à nos sensations, élargi notre connaissance, et perfectionné notre entendement, que nous revenons à notre sentiment originel et à notre admiration première, avec le plaisir additionnel que l'on ressent toujours en comprenant COMMENT nous étions charmés jadis, et POURQUOI nous admirons encore."

(Quatrième pièce du "Chapitre de Suggestions" publié dans "L'Opale", fin 1844. Traduction de Ph. Dally -- 1939.)

(SAVOIR ET INTUITION)

"Cette perception intuitive et apparemment fortuite par laquelle nous atteignons souvent à la connaissance, quand la raison elle-même nous manque et abandonne l'effort, ressemble assez aux coups d'oeil rapides que nous lançons sur une étoile, et qui nous la montrent plus clairement qu'un regard direct; ou encore à cette manière de tenir les yeux mi-clos, devant un tapis de gazon, qui nous fait mieux apprécier l'intensité de sa verdure."

(Huitième pièce du "Chapitre de Suggestions" publié dans "L'Opale", fin 1844. Traduction, légèrement retouchée, de Ph. Dally -- 1939.)

Friday, June 18, 2004

(NOTES ENCHANTEES)

"La grande variété d'expressions mélodiques que fournissent les touches d'un piano pourrait devenir, entre des mains adroites, le point de départ d'un excellent conte de fées. Que le poète frappe doucement chaque touche de son doigt, le tenant abaissé, et qu'il fasse, en imagination, de chaque série prolongée d'ondulations, une histoire de joie ou de tristesse racontée par le bon ou le méchant génie emprisonné dans l'onde sonore. Il y a des notes qui nous racontent d'elles-mêmes, par leur seule harmonie, de véridiques et intelligibles histoires."

(Dixième pièce du "Chapitre de Suggestions" publié dans "L'Opale", fin 1844. Traduction, légèrement retouchée, de Ph. Dally -- 1939.)

Thursday, June 17, 2004

LA POESIE AMERICAINE

"On a si souvent et si carrément affirmé, chez nous et ailleurs, que nous ne sommes pas un peuple 'poétique', que cette diffamation, par le simple effet de la répétition, est passée au rang de vérité. Il n'y a cependant rien qui soit plus éloigné d'être vrai. L'erreur n'est qu'un aspect, ou un corollaire, du vieil axiome, que les facultés de calcul sont incompatibles avec la faculté de l'idéal. Mais, en fait, il serait très possible de démontrer que jamais ces deux formes de l'esprit n'ont atteint séparément leur perfection. Le degré supérieur de l'imagination est toujours éminemment 'mathématicien', et vice-versa.
Les conditions particulières de notre situation politique ont développé d'abord tout ce que nous avions d'intelligence pratique. Dans l'enfance même de notre nation nous avions conquis un degré d'habileté pragmatique qui faisait honte à la dextérité atteinte par nos devanciers en leur âge mûr. Nous étions encore dans les lisières que nous nous montrions les pionniers de tous les arts et sciences qui contribuent au bien-être de l'animal humain. Et il est arrivé que le domaine où nos nous exercions et nous distinguions a été considéré comme celui que nous avions délibérément choisi. On a pris nos obligations pour nos prédilections. Nous avions été forcés de construire des voies ferrées, et il a paru impossible que nous puissions faire des vers. Parce qu'il nous fallait d'abord construire des machines, on a nié que nous serions capables de composer ensuite des épopées. Sous prétexte que nous n'étions pas à nos débuts tous des Homères, on a un peu vite admis pour certain que nous serions tous finalement des Benthams.
Mais c'est là une stupidité de première classe. Les sources du sentiment poétique sont au profond de la nature immortelle de l'homme, et n'ont que peu de relations nécessaires avec les conditions et circonstances terrestres qui l'entourent. Qui est poète en Arcadie l'est encore au Kamschatka. La même veine saxonne anime les coeurs américains et britanniques. Aucun fait social, politique, moral, physique ne peut faire plus que refouler momentanément les élans qui brûlent dans nos poitrines avec autant d'ardeur que dans celles de nos pères lointains. (...)"

(Début du compte-rendu critique de l'anthologie "Les Poètes et la Poésie d'Amérique" de R. W. Griswold -- novembre 1842. Fin 1843, Poe réutilisera cette introduction militante en guise d'exorde pour son cycle de conférences sur "La Poésie Américaine". Et c'est bien ce même texte qu'il publiera à nouveau en novembre 1845, plébiscité par un public conquis... Traduction de Ch. Bellanger -- 1945.)

Tuesday, June 15, 2004

LA VISITE DES MORTS

LA VISITE DES MORTS
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Ton âme se trouvera seule --
Seule entre toutes sur la terre -- pour une cause
Inconnue -- Il n'y a, du moins, près de toi personne qui t'importune
En tes heures de recueillement.
Sois silencieux en cet isolement
Qui n'est pas de la solitude -- car alors
Les esprits des morts, qui existèrent
Avant toi dans la vie, se trouvent encore
Dans la mort autour de toi, et leur volonté
T'abritera de leur ombre. Paix, donc!
Car la nuit, quoique sereine, aura son froncement,
Et les étoiles ne regarderont plus du haut
De leurs trônes dans les cieux sombres
Avec cet éclat semblable à l'Espérance donnée aux mortels;
Mais leurs orbes rouges sans rayonnement
Seront pour ton coeur flétri
Comme une brûlure, comme une fièvre
Qui voudrait à jamais s'attacher à toi.
Elle te laissera, pourtant, quand chacune de ces étoiles,
Dans les lueurs du matin, bien loin
Te fuira -- et s'évanouira.
-- Mais tu ne pourras en bannir la p e n s é e .
Le souffle de Dieu se tiendra coi;
Et sur la colline la brume
Que ne dissipe point cette brise d'été
Te charmera comme un gage,
Comme un symbole qui restera
En toi un secret.

(Version initiale du poème "LES ESPRITS DES MORTS", telle que parue dans la plaquette anonyme de 1827 "TAMERLAN ET AUTRES POEMES - PAR UN BOSTONIEN", et définitivement abandonnée par la suite. Traduction d'E. Lauvrière -- 1904, avec correction du vers 23.)

Sunday, June 13, 2004

BYRON ET MISS CHAWORTH

"LES ANGES," dit madame Dudevant, une femme qui sème une foule d'admirables sentiments à travers un chaos des plus déhontées et des plus attaquables fictions, "LES ANGES NE SONT PAS PLUS PURS QUE LE COEUR D'UN JEUNE HOMME QUI AIME EN VERITE." Cette hyperbole n'est pas très loin de la vérité. Ce serait la vérité même, si elle s'appliquait à l'amour fervent d'un jeune homme qui serait en même temps un poète. L'amour juvénile d'un poète est sans contredit un des sentiments humains qui réalise de plus près nos rêves de chastes voluptés célestes.
Dans toutes les allusions de l'auteur de Childe-Harold à sa passion pour Mary Chaworth, circule un souffle de tendresse et de pureté presque spirituelle, qui contraste violemment avec la grossièreté terrestre qui pénètre et défigure ses poèmes d'amour ordinaires. "LE REVE", où se trouvent retracés ou au moins figurés les incidents de sa séparation d'avec elle au moment de son départ pour ses voyages, n'a jamais été surpassé (jamais du moins par lui-même) en ferveur, en délicatesse, en sincérité, mêlées à quelque chose d'éthéré qui l'élève et l'ennoblit. C'est ce qui permet de douter qu'il ait jamais rien écrit d'aussi moins universellement populaire.
Nous avons quelque raison de croire que son attachement pour cette Mary (nom qui semble avoir eu pour lui un enchantement particulier) fut sérieux et durable. Il y a de ce fait cent preuves évidentes disséminées dans ses poèmes et ses lettres, ainsi que dans les mémoires de ses amis et de ses contemporains. Mais le sérieux et la durée de cet amour ne vont pas du tout à l'encontre de cette opinion que cette passion (si on peut lui donner proprement ce nom) offrit un caractère éminemment romantique, vague et imaginatif. Née du moment, de ce besoin d'aimer que ressent la jeunesse, elle fut entretenue et nourrie par les eaux, les collines, les fleurs et les étoiles. Elle n'a aucun rapport direct avec la personne, le caractère ou le retour d'affection de Mary Chaworth. Toute jeune fille, pour peu qu'elle ne fût pas dénuée d'attraction, eût été aimée de lui dans les mêmes circonstances de vie commune et de libres relations, que nous représentent les gravures. Ils se voyaient sans obstacle et sans réserve. Ils jouaient ensemble comme de vrais enfants qu'ils étaient, ils lisaient ensemble les mêmes livres, chantaient les mêmes chansons, erraient ensemble la main dans la main à travers leurs propriétés contiguës. Il en résulta un amour non seulement naturel et probable, mais aussi inévitable que la destinée même.
Dans de telles circonstances, Mary Chaworth (qui nous est représentée comme douée d'une beauté peu commune et de quelques talents) ne pouvait manquer d'inspirer une passion de ce genre, et était tout ce qu'il fallait pour incarner l'idéal qui hantait l'imagination du poète. Il est peut-être préférable, au point de vue du pur roman de leur amour, que leurs relations aient été brisées de bonne heure, et ne se soient point renouées dans la suite. Toute la chaleur, toute la passion d'âme, la partie réelle et essentielle de roman qui marquèrent leur liaison enfantine, tout cela doit être mis entièrement sur le compte du poète. Si elle ressentit quelque chose d'analogue, ce ne fut sur elle que l'effet nécessaire et actuel du magnétisme exercé par la présence du poète. Si elle y correspondit en quelque chose, ce ne fut qu'une correspondance fatale que lui arracha le sortilège de ses paroles de feu. Loin d'elle, le barde emporta avec lui toutes les imaginations qui étaient le fondement de sa flamme -- dont l'absence même ne fit qu'accroître la vigueur; tandis que son amour de la femme, moins idéal et en même temps moins réellement substantiel, ne tarda pas à s'évanouir entièrement, par la simple disparition de l'élément qui lui avait donné l'être. Il ne fut pour elle en somme, qu'un jeune homme qui, sans être laid ni méprisable, était sans fortune, légèrement excentrique et d'ailleurs boiteux. Elle fut pour lui l'Egérie de ses rêves -- la Vénus Aphodite sortant, dans sa pleine et surnaturelle beauté, de l'étincelante écume au dessus de l'océan orageux de ses pensées.

(Publié initialement - en décembre 1844 - sous ce titre, et accompagné d'une gravure, cet essai fut ensuite reproduit, à peine modifié, parmi les "Marginalia", dans l'édition posthume de 1850. Madame Aurore Dudevant, née Dupin, n'est autre que George Sand, et la citation se rencontre au chapitre 23 de "VALENTINE", roman qu'elle fit paraître en 1832. Poe a quelque peu remanié le texte original qui, en réalité, se lit comme suit: "LES ANGES SONT MOINS PURS QUE LE COEUR D'UN HOMME DE VINGT ANS LORSQU'IL AIME AVEC PASSION...". Traduction de F. Rabbe -- 1887.)

Saturday, June 12, 2004

(FACULTE SANS VACANCE)

"(...) Le véritable don d'invention ne s'épuise jamais. Parler de la possibilité pour un homme vraiment imaginatif de 'se vider' à force d'écrire, c'est pure pose et ignorance. Son âme se nourrit des flots mêmes qu'elle répand. Autant vaut parler de l'aridité de l'Océan (...). Tant que l'univers des pensées fournira les éléments de nouvelles combinaisons, l'âme vraiment géniale ne cessera d'être originale, inépuisable, -- elle-même. (...)" (Extrait du compte-rendu critique du "Charles O'Malley..." de Ch. Lever -- Mars 1842. Traduit par E. Lauvrière en 1904, et retouché par V. Orban en 1908.)

(OUVRAGES SUGGESTIFS)

"En lisant certains livres, nous nous intéressons aux pensées de l'auteur; par la lecture de certains autres (comme, par exemple, 'L'An Deux Mille Quatre Cent Quarante' de L. S. Mercier -- un livre suggestif), nous ne faisons que développer nos pensées personnelles. Mais il existe deux sortes de livres s u g g e s t i f s : les positifs et les négatifs. Les uns nous donnent des sujets de réflexion par ce qu'ils disent; les autres par ce qu'ils pourraient et devraient dire. Après tout, la différence n'est que minime, car, dans les deux cas, le livre atteint réellement son but." ("Marginalia" -- Décembre 1844. Traduit par E. Hennequin en 1882, et corrigé par V. Orban en 1908, puis en 1913.)

(DEPLORABLE SUJETION)

"Un écrivain de génie, si on ne lui permet pas de choisir son sujet, s'acquittera plus mal de sa tâche que s'il était dépourvu de tout talent. Combien sa liberté est restreinte! Assurément il peut écrire ce qui lui plaît, mais son éditeur différera d'avis et n'imprimera que ce qui lui convient.
La nature de nos lois sur la propriété littéraire enlève à l'écrivain toute sa force. Quant à sa liberté d'action, elle ressemble à celle accordée au doyen et au chapitre d'une cathédrale épiscopale anglaise, que convoque à une élection un certain décret du roi accordant faculté d'élire... et spécifiant la personne à nommer!" ("Marginalia" -- Décembre 1844. Traduit par E. Hennequin en 1882, avec les retouches de V. Orban, en 1908.)

Friday, June 11, 2004

(L'ETRANGE ET L'OBSCUR)

"(...) Ce qui peut donner matière à penser se pense avec clarté, et ce qui se pense avec clarté peut et devrait s'exprimer avec clarté, ou alors pas du tout. Néanmoins, (...) à cette règle que nous avançons, il existe une exception justifiable: le cas où un auteur se donne comme dessein d'amener du fantastique... mais non de l'obscur. Pour donner l'idée de l'obscur, il nous faut, comme en tout, user de termes au plus précis et au mieux définis; et ceux qui en utilisent d'autres ne font que confondre obscurité d'expression et expression de l'obscurité. Alors que le fantastique, lui, -- monde spectral -- peut être substantiellement renforcé, dans son exposition, par une phraséologie cultivant l'INSOLITE. Et ce que nous disons ici, tout sermonneur est invité à le méditer à loisir, et pour son plus grand profit. (...)" (Extrait du compte-rendu critique du "Drame de l'Exil..." d'E. B. Barrett -- janvier 1845.)

Thursday, June 10, 2004

(RECIT COURT ET UNITE D'EFFET)

"(...) Il n'est pas donné à tout le monde d'assembler convenablement les parties d'une 'belle oeuvre'; ce qui n'empêche qu'une fois la tâche accomplie, sur dix personnes que vous rencontrerez il s'en trouvera sûrement une capable de la comprendre et de l'apprécier. Nous ne pouvons admettre qu'il faille moins de talent pour composer une COURTE NOUVELLE, que pour écrire un roman de dimensions ordinaires. Le roman exige assurément ce qu'on est convenu d'appeler 'l'effort soutenu'; mais ce n'est là qu'une question de persévérance, et cette vertu n'a qu'une relation secondaire avec le talent. D'autre part, l'unité d'effet -- qualité aussi rarement appréciée que peu comprise des esprits médiocres, et même difficile à atteindre pour ceux qui la conçoivent, -- est beaucoup plus indispensable dans la courte nouvelle que dans le roman. Ce dernier, s'il est goûté, ne sera admiré que par fragments détachés n'ayant aucun rapport avec l'ouvrage entier, ni avec le plan général adopté par l'auteur. Encore faut-il reconnaître que quand ce plan ne fait pas tout à fait défaut, l'écrivain n'y attache, pour sa part, qu'une importance relative, et qu'en tout cas, la longueur de la narration empêchera toujours le lecteur de l'apercevoir de prime abord. (...)" (Extrait du compte-rendu critique de "Watkins Tottle et Autres Esquisses... par Boz" de Dickens -- juin 1836, donné parmi les "Marginalia" dans l'édition posthume de 1850. Traduction de V. Orban - 1913.)

(OBSTACLE AU SAVOIR)

"(...) L'énorme multiplication des livres, dans tous les domaines du savoir, devient l'un des pires fléaux de notre époque; il n'est pas, que je sache, d'obstacle plus sérieux à l'acquisition de connaissances exactes. Le lecteur trouve, à chaque pas, sa route encombrée par des amas de matériaux au milieu desquels il lui faut avancer à tâtons, en cherchant péniblement les bribes utiles qui d'aventure se trouvent mêlées au reste. (...)" (Extrait du compte-rendu critique des "Rapports de Cas..." de Th. Bland -- octobre 1836, donné parmi les "Marginalia" dans l'édition posthume de 1850. Traduction de V. Orban - 1913.)

Sunday, June 06, 2004

(L'AUTEUR DANS SON OEUVRE)

"(...) La supposition que le livre de tel auteur est une chose distincte de la personne de l'auteur est, je pense, mal fondée. L'âme est un chiffre, dans le sens cryptographique; et plus le cryptogramme est court, plus son interprétation est difficile: à un certain degré de brièveté il défierait même toute une armée de Champollions. Ainsi celui qui n'a écrit que très peu pourra dans ce peu ou bien cacher son esprit ou donner une idée erronée de son esprit, de ses acquisitions, de ses talents, de son humeur, de sa manière, de la teneur, profondeur (ou superficialité) de sa pensée, en un mot, de son caractère, de lui-même. Mais cela est impossible pour celui qui a beaucoup écrit. Nous aurons de lui, d'après ses livres, non peut-être la juste, mais la plus juste représentation. Bulwer, l'homme, l'individu, en gilet de velours vert et en gants ambre, n'est aucunement le véritable Sir Edward Lytton, lequel n'est véritable que dans 'Ernest Maltravers', où son âme s'est délibérément mise toute nue. Connaître Dickens, est-ce en le regardant, en causant avec lui, ou en lisant son 'Magasin d'Antiquités'? Quel poète, spécialement, ne se sentira plus vraiment expliqué par le premier venu de ses sonnets (sérieusement écrit) que par les détails personnels les plus précis, les plus intimes? (...)" (Extrait des "Literati" d'août 1846, à propos de Sarah Margaret Fuller. Traduction anonyme du "Mercure de France" d'avril 1892.)

(HUMOUR ET POESIE)

"(...) Entre l' h u m o u r et l'âme de la Muse il y a antagonisme direct; et la prédominante croyance que la mélancolie est inséparable des plus hautes manifestations du beau n'est pas sans avoir une très ferme base dans la nature et dans la raison. Mais il arrive que l' h u m o u r et cette qualité que nous avons appelée l'âme de la Muse (l'imagination) trouvent un égal appui pour leur développement dans ces deux mêmes étais, -- le rythme et la rime. Ainsi, la seule ressemblance qu'il y ait entre le vers humouristique et la poésie, proprement dite, vient de la communauté de l'instrument qui leur est nécessaire. Cette circonstance a pourtant suffi à faire naître et à maintenir, pendant de longs siècles, dans le cerveau des critiques impensants, la confusion de deux idées aussi absolument distinctes. (...)" (Extrait de l'essai critique "Quelques Mots à propos de Brainard" -- Février 1842. Traduction anonyme du "Mercure de France" d'avril 1892.)

(TALENTS PRECOCES)

"(...) Les analogies dans la Nature sont universelles; et de même que l'herbe crue le plus vite est celle qui se fane le plus vite; de même que l'éphémère conquiert sa perfection en un seul jour pour périr au déclin de ce même jour, -- de même, l'esprit doué d'une précoce maturité est voué à une précoce décadence; et quand nous voyons dans l'oeil d'un enfant une âme d'adulte, ce serait rêver tout éveillé que d'en attendre un développement ultérieur proportionnel. Si le petit prodige atteint l'âge mûr, une imbécillité mentale, pas très éloignée de l'idiotie même, voilà ce qui l'attend trop fréquemment. Les exceptions à cette règle sont fort rares, mais il faut encore observer que lorsqu'une telle exception se présente, il s'agit d'une intelligence de Titan, qui se conserve égale à elle-même jusqu'aux jours de la plus extrême sénilité et qui se glorifie non pas dans un seul, mais dans tous les larges champs de la fantaisie et de la raison. (...)" (Extrait du compte-rendu critique des "Reliques Poétiques de Lucretia Maria Davidson" -- Décembre 1841. Traduction anonyme du "Mercure de France" d'avril 1892.)

(REALISME DEPLACE)

"Les défenseurs de cette pitoyable production la soutiennent en raison de son intense réalisme ( = 'truthfulness'). Mais, compte tenu du thème traité, ce réalisme intense en constitue l'atterrant défaut. Que voilà une idée originale: s'extasier sur la précision avec laquelle est projetée la pierre qui nous frappe à la tête! Un peu moins de précision nous aurait probablement laissé un peu plus de cervelle. Et voici des critiques pour complimenter sans réserve du réalisme au seul service du déplaisant! De mon point de vue, si un peintre doit faire figurer sur sa toile des fromages moisis, son mérite viendra plutôt de leur avoir donné le moins possible l'aspect de fromages moisis." ("Marginalia" - Novembre 1844.)

Thursday, June 03, 2004

(DE LA NECESSITE D'UN BON DEBUT)

"Que de livres suscitent l'indifférence, faute de débuts saisissants! Mieux vaut commencer de manière irrégulière -- sans méthode -- que ne point fixer l'attention; mais on peut toujours combiner ces deux qualités: méthode et vigueur. A tout risque, mettez imprimis quelques phrases vives, analogues à la sonnerie électrique du télégraphe." ("Marginalia", novembre 1844. Traduction E. Lauvrière -- 1904)

PREFACE AU VOLUME DE 1827 "TAMERLAN ET AUTRES POEMES".

"Les poésies qui composent ce petit volume ont été, pour la plupart, écrites en 1821-2, quand l'auteur n'avait pas encore achevé sa quatorzième année. Elles n'étaient pas destinées à la publication; pourquoi sont-elles éditées aujourd'hui ne concerne nul autre que lui. Des poèmes plus courts, il y a fort peu de choses à dire: sans doute possèdent-ils une saveur trop soutenue d'Egotisme; mais ils sont l'oeuvre de quelqu'un de trop jeune pour avoir connu le monde autrement que par son propre coeur. Dans 'Tamerlan', il a tenté d'exposer la folie de seulement risquer les meilleurs sentiments du coeur sur l'autel de l'Ambition. Il a conscience qu'y abondent de nombreuses fautes (outre celle du caractère général du poème) qu'il aurait pu sans grande peine, et il s'en flatte, corriger; mais, contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs, il affectionne trop ses premières productions pour les retoucher en vieillissant. Il ne dit pas que le succès de ces poésies le laisserait indifférent -- ce pourrait d'ailleurs avoir valeur de stimulant précieux -- mais il peut en confiance affirmer qu'un échec n'aura aucune influence sur les résolutions qu'il a déjà prises. Et si c'est là jeter un défi à la critique... qu'il en soit ainsi! Nos haec novimus esse nihil." (1827)