Tuesday, August 31, 2004

(ART ET HABILETE ARTISTIQUE)

"Voici un érudit et un artiste qui sait parfaitement tous les moyens que les grands auteurs ont mis en oeuvre pour obtenir leurs effets, et qui est résolu à s'en servir. Mais le coeur échappe à ses pièges, à ses trappes, à ses lacs, pour se laisser prendre par quelque homme simple aussi peu préparé à cette aventure que son prisonnier."
("Conversations" -- Lowell.)

Je me trompe peut-être en attribuant ces phrases à Lowell lui-même, -- elles sont mises dans la bouche d'un de ses personnages. Mais quel que soit celui qui les réclame, elles sont poétiques, et rien de plus. Leur erreur vient de la tendance commune à séparer la pratique de la théorie qui la comprend. En toute circonstance, si la pratique échoue, c'est que la théorie est imparfaite. Si le coeur de M. Lowell échappe au piège et à la trappe, c'est que le piège était mal dissimulé et que la trappe n'était ni amorcée ni posée comme il l'aurait fallu. Un homme de quelque habileté artistique peut fort bien savoir comment on obtient un certain effet, l'expliquer et cependant faillir quand il veut en user. Mais un homme de quelque habileté artistique n'est pas un artiste. Celui-là seul est artiste, qui peut appliquer heureusement ses préceptes les plus abstrus. Dire qu'un critique ne saurait écrire le livre qu'il juge, c'est émettre une contradiction dans les termes.


(Conclusion, à peine retouchée, de la notice critique sur les "Conversations à propos de quelques Poètes d'Autrefois" de J. R. Lowell -- janvier 1845, telle que reproduite en août 1845 dans une livraison de "Notes Marginales".
Elle sera reprise sous cette forme, parmi les "Marginalia", dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

Monday, August 30, 2004

(LA SENSIBILITE DU POETE)

22.

On sait que les poètes (le mot étant pris dans son sens le plus étendu et comprenant tous les artistes), sont un genus irritabile; mais la raison de ce tempérament semble généralement ignorée.
Un artiste n'est tel que par son sens exquis de la beauté, source pour lui de jouissances infinies, mais qui implique le sens tout aussi exquis du laid, de la disproportion. Ainsi un tort, une injustice faite à un poète digne de ce nom, l'excite à un degré qui semble étrange aux esprits ordinaires. Les poètes ne voient jamais l'injustice où elle n'est pas, mais là où les prosaïques ne peuvent l'apercevoir. L'irritabilité poétique n'est donc pas de l'humeur dans le sens vulgaire de ce mot, mais simplement une perception plus vive de l'injustice, qui vient de ce que le poète sent fortement le droit, le juste, la proportion, en un mot le "to kalon". Il me paraît clair que l'homme qui n'est pas irritable au jugement du vulgaire, n'est pas un poète.


(Vingt-deuxième entrée du feuilleton "Cinquante Suggestions" -- mai 1849.
Reproduite sous cette forme dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

Sunday, August 29, 2004

(NATIONALISME LITTERAIRE)

(...)
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On a beaucoup parlé, en ces derniers temps, de la nécessité de maintenir une nationalité convenable dans les lettres américaines; mais il n'est personne qui ait jamais nettement compris en quoi consiste cette nationalité, ni l'avantage qu'on en peut tirer. Qu'un Américain doit se borner à des sujets nationaux ou même leur accorder la préférence, c'est là une opinion plutôt politique que littéraire, et en tout cas discutable. Nous ferions bien de ne pas oublier le proverbe qui dit que "l'éloignement prête du charme au paysage." D'ailleurs, au sens strictement littéraire, un sujet étranger doit être préféré, car, en somme, le monde entier est la seule scène qui convienne à celui qui assume le rôle d'écrivain.
Mais il ne subsiste pas le moindre doute en ce qui concerne la nécessité de cette sorte de nationalité qui, en protégeant notre propre littérature, soutient nos hommes de lettres, rehausse notre dignité et dépend de nos propres ressources. Et pourtant, envisagée de ce point de vue, la question nous laisse ordinairement dans la plus coupable indifférence. Nous nous plaignons de ne pas avoir de règlement international sur les droits d'auteur, sous prétexte qu'il y a là de quoi justifier nos éditeurs qui inondent le pays d'idées anglaises répandues par les livres anglais: et néanmoins, quand il arrive à ces mêmes éditeurs de mettre au jour quelque ouvrage américain, à leurs propres risques ou même en s'exposant à une perte assurée, nous faisons presque toujours les dégoûtés et affichons le plus grand dédain, jusqu'à ce que l'ouvrage en question ait été déclaré bon à lire par tel ou tel critique londonien illettré. Y a-t-il la moindre exagération à soutenir que, chez nous, l'opinion de Washington Irving, de Prescott, de Bryant ne compte pour rien auprès de celle émise par quelque anonyme sous-éditeur subalterne du Spectator, de l'Athenaeum ou du Punch de Londres? Non, il n'y a là rien d'exagéré. Au contraire, c'est une vérité solennelle, un fait absolument avéré; et parmi nos éditeurs, il n'en est pas un qui n'en convienne. Il n'est pas sous les cieux de spectacle plus écoeurant que notre servilité à l'égard de la critique anglaise, -- écoeurante, d'abord parce que c'est vil, rampant, pusillanime, et puis, parce que c'est une absurdité sans bornes. Nous savons que les Anglais ne nous veulent le plus souvent que du mal; nous savons qu'ils sont tout à fait incapables de juger les livres américains avec impartialité; nous savons que, dans les cas peu nombreux où nos écrivains ont été traités simplement avec égards en Angleterre, ç'a été quand ces mêmes écrivains avaient ouvertement rendu hommage aux institutions britanniques, ou lorsqu'ils avaient gardé, enfouie au fond du coeur, une tendance secrète en opposition avec l'esprit démocratique; -- nous n'ignorons rien de tout cela, et néanmoins, de jour en jour, nous nous soumettons davantage au joug dégradant de l'opinion la plus baroque qu'il plaît à la mère-patrie de nous imposer. Donc, s'il nous faut une nationalité, que celle-ci soit au moins affranchie d'une tutelle aussi humiliante. (...)
En vérité, le principe de nationalité qu'il importe d'exiger, c'est celui du respect de soi-même. En littérature comme en politique, nous réclamons une Déclaration d'Indépendance. Cependant, une bonne déclaration de guerre vaudrait encore mieux, -- et cette guerre devrait être portée sans tarder "en Afrique".
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(...)


(Extraits d'un éditorial militant d'octobre 1845, reproduit parmi les "Marginalia" dans l'édition posthume de 1850.
Traduction de V. Orban -- 1913.)

Saturday, August 28, 2004

(PAUVRE M--------- !)

Certes, M----- ne se plaindra pas de l'accueil fait à son livre, car le public lui a donné à ce sujet une assurance toute pareille à celle dont Polyphème se servit jadis pour calmer Ulysse, pendant que celui-ci voyait ses compagnons dévorés sous ses yeux. "Votre livre, M. M-----," clame le public, "sera bien le dernier -- je vous en donne ma parole -- à être dévoré."

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En considérant les détails de peu d'importance, nous arrivons à négliger les généralités essentielles. C'est ainsi que M----- a fait grand bruit de certaines fautes d'impression dans un livre, et a cependant épargné à son imprimeur les reproches que celui-ci méritait plutôt deux fois qu'une pour la plus grosse de toutes : celle d'avoir imprimé le livre.

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(...)

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M----- préfère être maltraité par les critiques à être passé sous silence. On ne saurait pourtant le blâmer de grogner à l'occasion, comme pourrait le faire un chien que l'on bombarderait d'os.

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Montrons-nous charitables envers M-----, et expliquons-nous ses échecs littéraires répétés en nous figurant qu'à l'instar du Lelius de l'"Arcadie", il souhaite démontrer son adresse en manquant plutôt qu'en atteignant sa cible.

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(...)


(Série de quatre quolibets décochés selon toute probabilité contre C. Mathews, journaliste polygraphe et ardent défenseur d'une littérature nationale américaine. "Marginalia" -- juillet 1849.
Traduction partielle d'E. Hennequin -- 1882.)

Tuesday, August 24, 2004

(ORATEURS ET CAUSEURS)

Pour bien converser, il faut le tact froid du talent; pour bien parler, l'abandon fervent du génie. Cependant, des hommes de grand génie parlent bien en une occasion et mal en une autre; bien, quand ils ont tout le temps, toute carrière et des auditeurs sympathiques; mal, quand ils craignent d'être interrompus et sont ennuyés de ne pouvoir épuiser leur sujet dans un seul discours. Le génie partiel brille par éclats; il est fragmentaire. Le vrai génie a horreur de l'incomplet, de l'imparfait, et préfère garder le silence, plutôt que dire quelque chose qui ne soit pas absolument définitif. Le vrai génie est si plein de son sujet, qu'il se tait, ne sachant par où débuter, apercevant exorde après exorde, entrevoyant sa fin à une distance infinie. Quelquefois, il se lance dans son sujet, commet une faute, hésite, s'arrête, reste arrêté, et parce qu'il a été emporté par l'essor et la multitude de ses pensées, ses auditeurs raillent l'incapacité de son esprit. Cet homme se trouve à l'aise dans ces "grandes occasions" qui confondent et abattent les intelligences ordinaires.
Cependant, l'influence du causeur, par sa conversation, est en général plus marquée que celle de l'orateur par ses discours. Celui-ci invariablement parle mieux avec sa plume. De bons causeurs sont plus rares que de passables orateurs. Je connais beaucoup de ces derniers; de causeurs, cinq ou six tout au plus, dont les seuls présents à mon esprit sont MM. Willis; J. T. S. Sullivan, de Philadelphie; W. M. R., de Petersburg, Va.; et Mme S---d, jadis à New-York. Et la plupart nous font regretter que notre étoile ne nous ait pas fait naître chez cette peuplade africaine mentionnée par Eudoxe, parmi ces sauvages qui, n'ayant pas de bouche, ne l'ouvraient naturellement jamais. D'ailleurs, certaines personnes que je connais, perdant la bouche, trouveraient moyen de bavarder encore -- comme elles le font déjà -- par le nez.


("Marginalia" -- janvier 1848.
Reproduit, à peine modifié, dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882, retouchée par V. Orban en 1913.)

Monday, August 23, 2004

(RHETORIQUE)

"Car toutes les règles du rhéteur
Ne font que lui enseigner le nom de ses outils."

HUDIBRAS.

Ces vers, souvent cités, démontrent qu'une erreur, mise en poésie, fait plus de chemin et dure plus longtemps qu'une erreur en prose. Un homme qui se détournerait et se moquerait d'une sottise dite nûment, se prend à lui trouver plus de valeur quand elle lui est décochée dans l'entendement aiguisée en épigramme.
Les règles de rhétorique, si ce sont vraiment des règles, enseignent non seulement les noms des outils à penser, mais la manière de s'en servir, leurs applications, ce à quoi ils sont aptes, ce qu'ils ne peuvent faire. Ainsi la connaissance des outils (qui est nécessaire pour ceux qui les manient constamment) forcera à scruter et à sonder la matière où on les appliquera, suggérant des idées, produisant ainsi de nouvelle matière pour de nouveaux outils.


("Marginalia" -- janvier 1848.
Repris tel quel dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

Friday, August 20, 2004

(PLEUTRERIES)

Il n'est pas convenable, pour user d'un terme doux, et il ne paraît pas courageux d'attaquer un ennemi en s'abstenant de le nommer, mais en le décrivant expressément de telle sorte que tout le monde sache qui nous entendons, -- et de venir dire ensuite: "Je n'ai pas désigné cet homme par son nom. Aux yeux et d'après la loi, je suis innocent." Et cependant, combien n'arrive-t-il pas que des hommes, qui s'intitulent des gentlemen, se rendent coupables de cette bassesse! Il nous faudrait réformer ce point de notre morale littéraire; et avec celui-là, cet autre: l'habitude de publier des articles de critique anonymes. Aucune raison valable ne peut être alléguée pour maintenir plus longtemps cette pratique très-déloyale, très-méprisable et très-lâche.


("Marginalia" -- mai 1849.
Repris tel quel dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882, retouchée par V. Orban en 1913.)

Tuesday, August 17, 2004

(LES ROMANS MONDAINS)

Parmi les moralistes qui passent leur temps à avaler leurs pincettes pour se tenir droits, il est d'usage de décrier les romans "mondains". Ces oeuvres ont leurs défauts; mais l'immense et bonne influence qu'ils exercent ne leur a jamais été dûment comptée! "Ingenuos fideliter didicisse libros, emollit mores nec sinit esse feros." Or, les romans mondains circulent le plus dans les classes peu raffinées, et leur efficacité à adoucir les pires callosités, à aplanir les aspérités les plus rudes du vulgaire, est prodigieuse. Pour la masse, admirer et tenter d'imiter ne font qu'un. Peu importe si, dans ce cas, les manières imitées ne sont que vains oripeaux; civilité feinte vaut mieux qu'incivilité; -- et, après tout, on ne court pas grand risque d'altérer la valeur intrinsèque du fer le plus grossier en le recouvrant d'une couche de dorure, si transparente soit-elle.


("Marginalia" -- décembre 1844.
Repris tel quel dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882, retouchée par V. Orban en 1913.)

(ACME)

Nous autres gens du monde sans principes (bagage démodé et fort incommode), nous devrions prendre garde que, voyant un pauvre diable d'homme de génie et le croyant à toute extrémité, nous ne l'insultions ou le traitions mal en quelque manière, juste au moment où il poserait le pied sur les derniers degrés de son échelle triomphale. C'est un tour familier à cette sorte de gens, quand ils sont sur le point de toucher à un but depuis longtemps caressé, de s'abîmer dans le désespoir simulé le plus profond, et cela seulement afin de rehausser davantage la portée du succès vers lequel ils ont décidé de prendre tout d'un coup leur essor.


("Marginalia" -- janvier 1848.
Repris tel quel dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882, retouchée par V. Orban en 1913.)

Monday, August 16, 2004

(NOS MAGAZINES)

Quels que soient les mérites ou les défauts, en général, de la littérature américaine publiée sous forme de magazines, on ne saurait mettre en doute son expansion ni son influence. La revue littéraire est par conséquent un sujet d'importance reconnue, d'autant plus que, d'ici à quelques années, cette importance se trouvera augmentée en proportion géométrique. Les publications périodiques révèlent une tendance indéniable de notre siècle. Cependant, les recueils trimestriels n'ont jamais pu devenir populaires. Non seulement ils sont trop guindés (attitude qu'ils affectent pour garder une certaine dignité), mais ils tiennent à honneur de discuter invariablement des questions qui demeurent obscures pour beaucoup de lecteurs et qui n'ont même presque toujours qu'un intérêt conventionnel pour un cercle restreint d'abonnés. De plus, ils paraissent à de trop longs intervalles pour que leurs articles puissent accompagner le courant de l'actualité. En un mot, leur gravité est tout à fait incompatible avec la précipitation de notre époque. Ce qu'il nous faut à présent, c'est l'artillerie légère de l'intelligence; nous exigeons qu'on se montre court, condensé, pénétrant, aisément persuasif; nous fuyons le verbeux, le détaillé, le volumineux, l'inaccessible. D'un autre côté, la légèreté de l'artillerie ne doit pas non plus dégénérer en puérilité, ce qui est le cas particulier de presque tous les journaux quotidiens, dont l'objectif légitime est de présenter des faits éphémères sous un aspect éphémère. Quel que soit le talent qui se donne carrière dans notre journalisme, -- et bien souvent ce talent est considérable, -- l'impérieuse nécessité de saisir au courant de la plume chaque sujet au vol, sous les yeux du public, doit forcément nuire à la presse quotidienne et restreindre les limites de son pouvoir. Tandis que, par l'abondance de leurs matières et leur apparition intermittente, les revues mensuelles semblent, elles, parfaitement répondre, sinon à toutes les exigences littéraires du jour, du moins à la majeure partie des besoins les plus généraux et les plus immédiats. (...)


(Introduction du commentaire critique sur le "Graham's Magazine" de mars 1845.
Reprise parmi les "Marginalia" de décembre 1846, elle figurera sous cette forme dans l'édition posthume de 1850.
Traduction de V. Orban -- 1913.)

Wednesday, August 11, 2004

(DETRESSE ORDINAIRE)

(...) Si nous ne pouvons pas reprocher aux éditeurs de Magazines un manque absolu de libéralité (puisqu'ils paient), il y a /cependant/ un point particulier, au sujet duquel nous avons d'excellentes raisons de les accuser. Pourquoi (puisqu'ils doivent payer) ne paient-ils pas de bonne grâce et tout de suite? Si nous étions en ce moment de mauvaise humeur, nous pourrions raconter une histoire qui ferait dresser les cheveux sur la tête de Shylock.
Un jeune auteur, aux prises avec le désespoir lui-même sous la forme du spectre de la pauvreté, n'ayant dans sa misère aucun soulagement -- n'ayant à attendre aucune sympathie de la part du vulgaire, qui ne comprend pas ses besoins, et prétendrait ne pas les comprendre, quand même il les concevrait parfaitement -- ce jeune auteur est poliment prié de composer un article, pour lequel il sera "gentiment payé." Dans le ravissement, il néglige peut-être pendant tout un mois le seul emploi qui le fait vivre, et après avoir crevé de faim pendant ce mois (lui et sa famille), il arrive enfin au bout du mois de supplice et de son article, et l'expédie (en ne laissant point ignorer son pressant besoin) à l'éditeur bouffi, au propriétaire au nez puissant qui a condescendu à l'honorer (lui le pauvre diable) de son patronage. Un mois (de crevaison encore), et pas de réponse. Un second mois, rien encore. Deux autres mois... toujours rien. Une seconde lettre, insinuant modestement que peut-être l'article n'est pas arrivé à destination -- toujours point de réponse. Six mois écoulés, l'auteur se présente en personne au bureau de "l'éditeur et propriétaire". "Revenez une autre fois." Le pauvre diable s'en va, et ne manque pas de revenir. "Revenez encore"... Il s'entend dire ce "revenez encore" pendant trois ou quatre mois. La patience à bout, il redemande l'article. -- Non, il ne peut pas l'avoir (il était vraiment trop bon, pour qu'on pût le faire passer si légèrement) -- "il est sous presse," et "des articles de ce caractère ne se paient (c'est notre règle) que six mois après la publication. Revenez six mois après l'affaire faite, et votre argent sera tout prêt -- car nous avons des hommes d'affaires expéditifs -- nous-mêmes." Là dessus le pauvre diable s'en va satisfait, et se dit qu'en somme "l'éditeur et propriétaire" est un galant homme, et qu'il n'a rien de mieux à faire, (lui, le pauvre diable), que d'attendre. L'on pourrait supposer qu'en effet il eût attendu... si la mort l'avait voulu. Il meurt de faim, et par la bonne fortune de sa mort, le gras éditeur et propriétaire s'engraisse encore de la valeur de vingt-cinq dollars, si habilement sauvés, pour être généreusement dépensés en canards-cendrés et en champagne.
Nous espérons que le lecteur, en parcourant cet article, se gardera de deux choses: la première, de croire que nous l'écrivons sous l'inspiration de notre propre expérience, car nous n'ajoutons foi qu'au récit de souffrances bien réelles, -- la seconde, de faire quelque application personnelle de nos remarques à quelque éditeur actuellement vivant, puisqu'il est parfaitement reconnu qu'ils sont tous aussi remarquables par leur générosité et leur urbanité, que par leur façon de comprendre et d'apprécier le génie.


(Extrait de "Quelques Secrets de la Prison du Magazine" -- février 1845.
Traduction de F. Rabbe -- 1887.)

Tuesday, August 10, 2004

(PROPRIETE LITTERAIRE)

"Nous avouons n'avoir jamais été à même de saisir DISTINCTEMENT comment le manque de législation internationale en matière de droits d'auteur pouvait porter préjudice à NOS PROPRES écrivains." -- EX. PAPER.

La manière dont nous pillons les auteurs étrangers, et les arguments avancés par nos chambres législatives pour prétendre qu'il y a, pour nous, un avantage économique à voler dans les poches des étrangers, sont trop bien connus pour qu'on ait à y revenir -- mais il se trouve encore des individus pour demander assez ingénument en quoi l'absence de législation internationale en matière de droits d'auteur peut affecter les intérêts pécuniaires de nos gens de lettres, chez nous, en Amérique. La personne qui pose pareille question devrait commencer par écrire un livre, ou un article de magazine, et ensuite approcher un éditeur pour le lui vendre.
La réponse que l'éditeur réservera à sa démarche pourra dans le même temps servir très utilement à éclairer le débat général.
Il dira ceci -- "Mon cher Monsieur, vous êtes un homme de génie. Et je suis même disposé à admettre, si bon vous semble, que vous êtes un plus grand génie que... que... n'importe qui qu'il vous viendrait à l'esprit de désigner. Mais si votre ouvrage, je vous le paye un dollar, c'est implicitement reconnaître que non seulement vous êtes un plus grand génie que... dirons-nous Dickens?... mais aussi que vous, qui n'avez toujours pas publié la moindre ligne, vous êtes plus populaire que lui. Car, remarquez bien: les oeuvres de Dickens, je peux les obtenir sans ce dollar! C'est à peine mieux que de la piraterie, j'en conviens, mais c'est consacré par l'usage, et donc je n'ai pas fort l'impression d'avoir à rougir en agissant de la sorte. D'autant que je préfère rougir un peu... et épargner mon dollar. Voilà pourquoi je me vois forcé, pour le moment, de décliner toute proposition concernant votre livre. Mais permettez-moi de vous recommander à Mr A., ou à la maison d'édition H. ... Là, on sera peut-être en mesure de vous aider."
Toutefois, ce qu'il y a de plus insupportable, -- et le fait, jusqu'ici, de n'y pas vraiment prêter attention n'en ôte nullement le côté déplorable, -- dans cette absence de législation internationale en matière de droits d'auteur, c'est cet amer sentiment d'injustice qu'elle éveille dans le coeur de toute la gent littéraire, -- c'est cet intense mépris et ce dégoût profond que toute Noblesse Morale, que toute Pensée Créatrice au monde ne peuvent pas s'empêcher, quand bien même elles le voudraient, d'éprouver pour cette seule contrée qui ne leur accorde ni protection ni respect, -- pour ce seul régime qui non seulement pille en véritable bandit de grands chemins, mais qui, en plus, justifie ses vols comme chose commode et louable, allant jusqu'à s'en féliciter dès l'instant qu'ils sont commis avec habileté.


(Premier d'une série de quatre billets incisifs sur la délicate question de la "Rémunération des Auteurs Américains" -- janvier 1845.)

Wednesday, August 04, 2004

(UNE PRIORITE ESSENTIELLE)

Mon cher Monsieur,

Bien des années ont passé depuis nos dernières relations.(...)
Vous aurez déjà compris que, comme d'habitude, j'ai une faveur à solliciter. (...) La requête que j'ai à vous présenter aujourd'hui est pour moi d'un vital intérêt. (...)
Avant de quitter le Messenger, je vis, ou m'imaginai voir, par une longue et obscure échappée de vue, quel brillant champ d'ambition serait un magazine de programme hardi et noble pour celui qui l'établirait avec succès en Amérique. (...) L'influence d'une telle revue serait vaste, certes, et je rêvais de consacrer franchement cette influence à la cause sacrée de la beauté, de la justice et de la vérité. (...)
Ne perdant pas de vue mon projet primitif, -- fonder un magazine à moi ou dans lequel au moins j'aie un droit de propriété, -- cela a été mon constant effort en même temps, non tant d'acquérir une réputation grande en elle-même que d'en acquérir une de ce caractère particulier qui pût le mieux favoriser mes projets spéciaux et attirer l'attention sur mes aptitudes comme éditeur de magazine. Ainsi, je n'ai écrit nuls livres, et j'ai été essentiellement un magaziniste, supportant, non seulement de bon gré, mais encore joyeusement la triste pauvreté, avec ses humiliations, et les autres inconvénients de la condition d'un simple magaziniste en Amérique, où, plus qu'en aucune région qui soit sur la face du globe, être pauvre, c'est être méprisé.
Le grand inconvénient de ce plan, c'est que le journaliste, s'il ne réunit ses divers articles, est exposé à être compris de travers et jugé à faux par les gens dont le suffrage lui serait précieux, mais qui n'auront rien lu de lui, peut-être, que dans quelques feuilles, ça et là, par hasard -- et souvent une simple extravagance, écrite pour satisfaire à une commande déterminée. Il y perd trop, encore que sa versatilité même puisse être matière à éloge légitime -- question qui ne peut être tranchée que sur le vu de ses divers articles groupés en un volume. Oui, il y a là un sérieux inconvénient -- mais auquel cette lettre a précisément pour but de remédier.
Mettant de côté, pour le moment, mes critiques, poèmes, et miscellanées (suffisamment nombreuses), mes contes, dont beaucoup peuvent être dénommés fantaisies, sont au nombre de soixante-six. Ils constituent à peu près la matière de cinq des ordinaires volumes de romans. Je les ai préparés pour l'impression ; mais, hélas! je n'ai ni argent ni cette influence qui serait de nature à me procurer un éditeur -- quoique je ne cherche pas de rémunération pécuniaire. Mon projet actuel n'a pour but que de faciliter la réussite de mon projet primitif. Je crois que si je pouvais présenter dans de bonnes conditions mes contes au public et ainsi provoquer à leur sujet un concours d'opinions, je me trouverais bien mieux placé qu'à présent pour le lancement d'un magazine. En un mot, je crois que la publication de l'oeuvre mènerait sans délai, soit directement par mon propre effort, soit indirectement grâce à l'aide d'un éditeur, à l'établissement du journal que j'ai en vue.
Il est bien vrai que je n'ai pas de titres à votre attention, pas même celui qui résulterait de relations personnelles. Mais j'ai atteint un point critique de ma vie où mélancoliquement je reste en détresse, et, sans pouvoir dire pourquoi -- à moins que ce ne soit parce que très ardemment je désire votre amitié, -- j'ai toujours senti un demi-espoir que, si je recourais à vous, vous vous manifesteriez mon ami. Je sais que vous avez une influence illimitée sur les Harper, et je sais que si vous l'exerciez en ma faveur vous pourriez obtenir la publication que je désire. (...)


(Extrait d'une lettre au Professeur Ch. Anthon -- automne 1844.
Traduction de F. Fénéon -- 1895.)

Tuesday, August 03, 2004

(STRATEGIE NOUVELLE...)


Philadelphie, 30 mars 1844.

Mon cher ami,

(...)
Quel effroyable état que celui de notre littérature à l'heure actuelle! Où va-t-on? Nous avons, à coup sûr, besoin de deux choses : une loi internationale sur les droits d'auteur, et une revue mensuelle solidement établie, d'une valeur, d'un tirage et d'un caractère qui lui permettent de gouverner notre littérature et de lui donner le ton. Ce devrait être, matériellement, un modèle de bon goût qui ne fût pas trop raffiné, c'est-à-dire d'une impression ferme, sur d'excellent papier, sans divisions de colonnes, illustré, et non simplement embelli, par de vigoureux dessins dans la manière de Grandville. Son but principal devrait être l'Indépendance, la Vérité, l'Originalité. Ce devrait être une brochure d'environ 120 pages, livrable à 5 dollars. Elle devrait se passer des agents et des agences. Une pareille revue pourrait avoir une influence prodigieuse, et serait une source de fortune immense pour ses propriétaires. Il ne peut y avoir de raison qui s'oppose à un tirage de 100.000 exemplaires dans un ou deux ans ; mais les moyens de la mettre en circulation devraient être radicalement différents de ceux qu'on emploie d'ordinaire.
Une telle revue pourrait sans doute être lancée par une coalition, et, une fois lancée, pour peu qu'on sût s'y prendre, elle deviendrait irrésistible. Supposez, par exemple, que l'élite de nos hommes de lettres s'associe secrètement. Il y en a beaucoup à la tête des journaux, etc... Que chacun d'eux souscrive, par exemple, 200 dollars pour les débuts de l'entreprise et fournisse encore quelques contributions de temps à autre, selon les exigences, jusqu'à ce que l'affaire se trouve établie. Les articles ne seraient fournis que par des membres de la société exclusivement, et d'après une organisation concertée. Un rédacteur en chef serait choisi par le vote dans ce nombre. Comment une telle revue pourrait-elle échouer? Je voudrais bien connaître votre opinion à ce sujet. Ne pourrait-on pas "mettre la balle en mouvement"? Si nous ne nous défendons pas par quelque coalition de cette nature, nous serons dévorés sans pitié par les Godeys, les Snowdens, et id genus omne.

Votre ami très sincère,

Edgar A Poe


(Extrait d'une lettre au poète J. R. Lowell.
Début 1843, le "Penn Magazine" change de nom pour désormais s'appeler le "Stylus". Jusqu'à la fin de sa vie, Poe persistera dans cet ambitieux projet pour lequel il multipliera prospectus, encarts publicitaires et démarches en tous genres afin de s'assurer le concours de collaborateurs et de souscripteurs. Il réalisera même de sa plume plusieurs maquettes dans l'espoir d'enfin voir se concrétiser la revue de ses rêves. Aucun numéro, hélas, ne verra jamais le jour...
Traduction d'E. Lauvrière -- 1904.)

Monday, August 02, 2004

(SOLLICITATION OBLIGEANTE)

Philadelphie, 22 juin 1841.

Cher Monsieur,

Votre lettre du 19 mai a été reçue. Je regrette de voir mes prévisions confirmées, et que vous ne puissiez accepter la proposition de M. Graham. Voulez-vous me permettre de vous en faire une autre?
Je n'ai pas besoin d'appeler votre attention sur les signes des temps concernant la littérature de magazine. Vous admettrez que la tendance actuelle est dans cette direction -- du moins en ce qui concerne les lettres légères. Le bref, l'élégant, le condensé et le portatif prendront la place du diffus, du lourd et de l'inaccessible. Même nos revues (lucus a non lucendo) paraissent trop massives pour le goût du jour : je ne veux pas dire pour le goût des gens sans goût, mais pour celui de l'élite. Dès maintenant, les plus beaux esprits de l'Europe commencent à favoriser de leur collaboration les magazines. Dans ce pays, malheureusement, nous n'avons aucun périodique de ce genre qui puisse offrir aux hommes de grand talent un stimulant pécuniaire, ou qui soit un convenable véhicule pour leurs pensées. Il y a là une lacune à combler ; et, dans l'espoir de la combler au moins partiellement, M. Graham et moi, nous nous proposons de fonder un magazine mensuel.
Des sommes très importantes seront engagées dans l'entreprise. Le fascicule sera un in-octavo de 96 pages. Le papier sera d'excellente qualité -- plus beau peut-être que celui sur lequel votre Hypérion a été imprimé. Les caractères seront neufs (toujours du neuf), nets, hardis et d'un oeil spécial. Le texte sera disposé sur une seule colonne. Le tirage se fera sur une presse à bras dans les meilleures conditions. De belles marges. Pas d'illustrations, excepté des gravures sur bois (par Adams), à l'occasion, quand ce sera nécessaire à l'intelligence d'un article, et, alors elles seront imprimées dans le texte -- et non sur des feuillets séparés comme dans l'Arcturus. Le brochage se fera dans le style français pour que le fascicule puisse se tenir ouvert. Dès la couverture et d'un bout à l'autre, on s'efforcera systématiquement de maintenir tout dans le goût le plus pur. Le prix sera de cinq dollars.
Le trait caractéristique, au point de vue littéraire, sera une rédaction due aux plumes les plus distinguées (d'Amérique) exclusivement ; ou si ce plan ne peut être entièrement exécuté, nous nous proposons du moins de conclure des arrangements (si possible) avec vous-même, M. Irving, M. Cooper, M. Paulding, M. Bryant, M. Halleck, M. Willis et un ou deux autres . En fait, la conclusion de ces arrangements est la condition rigoureuse de l'existence du magazine ; et mon dessein en vous écrivant cette lettre est de savoir jusqu'à quel point je peux compter sur votre aide.
Dans votre précédent billet, vous parliez de vos engagements actuels. Le périodique projeté ne paraîtra pas avant le 1° janvier 1842.
Il serait désirable que vous consentissiez à livrer chaque mois de la copie, -- prose ou vers, pièces isolées ou sérielles, de telles dimensions que vous jugeriez à propos. Si vous désiriez des illustrations, elles seraient gravées à nos frais et sous votre surveillance, d'après dessins que vous fourniriez. Quant aux conditions financières, nous vous laissons, comme déjà, le soin de les fixer. Les sommes convenues vous seraient payées à votre gré. Il serait nécessaire que votre contrat portât sur une année, -- période durant laquelle vous n'auriez la faculté d'écrire dans aucun autre magazine (américain).
En même temps que cette lettre, j'en envoie une de même teneur à chacun des gentlemen précités. Si vous ne croyez pas pouvoir me donner une réponse définitive, voulez-vous être assez aimable pour me dire si vous écririez pour nous sous condition du succès de nos démarches auprès des autres -- spécifiant quels autres.

Avec haute considération,
votre obéissant,


Edgar A Poe.


(Lettre adressée au poète H. W. Longfellow, Professeur de Langues Modernes à Harvard depuis 1836, afin d'obtenir de celui-ci une collaboration régulière au "Penn Magazine".
Traduction de F. Fénéon -- 1895.)

Sunday, August 01, 2004

(ARDENT DESIR D'INDEPENDANCE)

PROSPECTUS
du
PENN MAGAZINE

Revue littéraire mensuelle
Qui doit être éditée et publiée dans la cité de Philadelphie
par
EDGAR A. POE

AU PUBLIC. -- Depuis que j'ai renoncé à la direction du Southern Literary Messenger, au début de sa troisième année, j'ai toujours eu en vue la création d'une revue gardant quelques-uns de ses traits principaux et abandonnant ou modifiant largement les autres. Des retards ont été occasionnés par des causes variées, et ce n'est que maintenant que je me trouve le loisir de tenter l'exécution de ce dessein.
On me pardonnera de parler avec plus de précision du Messenger. N'y ayant aucun droit de propriété et mes vues étant à bien des égards en désaccord avec celles de son très digne propriétaire, j'ai trouvé difficile d'en marquer les pages de cette individualité que je crois essentielle au plein succès de toutes les publications analogues. En vue de leur influence permanente, il me semble qu'un constant caractère bien tranché et une fermeté de dessein bien accentuée sont des conditions d'une importance vitale, et je ne puis m'empêcher de croire que ces conditions ne sont réalisables que quand une seule volonté préside à la direction générale de l'entreprise. L'expérience a rendu manifeste, -- ce qui aurait pu en réalité être démontré a priori, -- que c'est en créant une revue qui m'appartienne que je puis trouver ma seule chance de mettre à exécution les intentions particulières que j'ai bien pu avoir.
A ceux qui se rappellent les premiers jours de la revue méridionale en question, il sera à peine nécessaire de dire que son trait principal était une âpreté quelque peu exagérée dans ses notices critiques sur les livres nouveaux. Le Penn Magazine ne conservera cette sévérité qu'autant que le permettra le sentiment de justice le plus calme, mais aussi le plus strict. Les quelques années qui se sont écoulées ont pu atténuer la pétulance sans nuire à la perspicacité du critique. Elles ne lui ont assurément pas encore enseigné à lire par les yeux d'un éditeur autoritaire ni ne l'ont convaincu que les intérêts des lettres ne sont pas alliés aux intérêts de la vérité. Ce sera le premier et le principal but de la revue projetée que de se faire connaître comme offrant en tous temps et sur tous sujets une opinion honnête et intrépide. Ce sera son dessein dominant que d'affirmer par les préceptes et de maintenir par la pratique, tout en prouvant par les résultats, les avantages d'une critique absolument indépendante, d'une critique consistante, qui ne se guide que par les principes les plus purs de l'Art, qui analyse et affirme ces principes tout en les appliquant, qui se tienne à l'écart de toute partialité personnelle, qui n'admette d'autre crainte que celle d'outrager la justice, qui ne fasse aucune place à la vanité de l'auteur, ni aux prétentions de préjugés antiques, ni au jargon entortillé et anonyme des revues trimestrielles, ni à l'arrogance de ces coteries organisées qui, pesant comme des cauchemars sur la littérature américaine, fabriquent en gros, au moindre signe de nos principaux éditeurs, une fausse opinion publique. Ce sont là des desseins dont personne n'a lieu de rougir. Ce sont même là des intentions dont la nouveauté mérite au moins quelque intérêt. Pour prouver que je veux mettre la plus grande ardeur à les réaliser à la lettre, j'en appelle avec confiance à ces amis, et surtout à ces amis du Sud, qui m'ont soutenu au Messenger où je n'avais qu'une occasion imparfaite d'exécuter mes plans.
Quant aux traits caractéristiques du Penn, quelques mots suffiront ici.
Il s'efforcera de soutenir les intérêts généraux de la République des Lettres, sans égard pour les diverses régions, considérant le monde en son ensemble comme le véritable auditoire de l'auteur. En dehors des limites de la littérature proprement dite, il laissera à de meilleures mains le soin d'instruire sur tous les sujets d'une très grave importance. Son but sera surtout de plaire, et cela à force de variété, d'originalité et de vigueur mordante. Il convient d'ajouter ici que ce prospectus ne contient rien qu'il faille interprêter en un désir de souiller la revue d'aucune de ces bouffonneries, de ces grossièretés, ou de ces indignités qui avilissent quelques-unes des plus florissantes publications européennes. Dans toutes les branches de la littérature, on s'est assuré le meilleur concours d'hommes capables de puiser aux sources les plus hautes et les plus pures.
A l'exécution matérielle de la revue, on accordera la plus grande attention que puisse exiger un pareil travail. On se propose à cet égard de surpasser de beaucoup le genre ordinaire des revues. Le format ressemblera assez à celui du Knickerbocker ; le papier vaudra celui de la North American Review ; les ornements artistiques n'auront pas d'autres buts que d'illustrer le texte.
Le Penn Magazine sera publié à Philadelphie le premier de chaque mois et formera chaque semestre un volume d'environ 500 pages. Le prix sera de 5 dollars par an, payable à l'avance ou au reçu du 1° numéro, qui paraîtra le 1° mars 1841. Les lettres doivent être adressées au directeur et propriétaire,

EDGAR A. POE.

Philadelphie, 1° janvier 1841.


(Dernière mouture du feuillet publicitaire, imprimé fin 1840, pour le lancement du "Penn Magazine".
Cette revue ne vit jamais le jour.
Traduction d'E. Lauvrière -- 1904.)