Monday, September 20, 2004

(POUR COMPLETER "HANS PFAALL")

(...) On peut démontrer par les lois de l'optique, qu'il n'existe pas d'impossibilité à la construction d'instruments suffisamment puissants pour établir définitivement si la lune est habitée ou non. La difficulté qui empêcha le grand télescope de Herschel de percer ce secret ne tint pas tant dans l'insuffisance des lentilles, qu'au défaut de lumière dans le tube, l'écartement des rayons lumineux étant trop grand pour rendre les objets distincts.
(...)
La lune est une substance phosphorescente qu'excite l'action du soleil, et sa surface peut continuer à émettre une faible lumière quelque temps encore après le coucher du soleil, -- celle-ci tenant lieu de crépuscule. (...)
Faire de l'invisible moitié de la lune notre enfer.
(...)
Si nous calculons soigneusement la force de gravité sur la lune, nous trouverons que, si un corps était projeté de sa surface avec une impulsion lui imprimant une vitesse de 8.200 pieds pour la première seconde, dans la direction d'une ligne joignant les centres de la terre et de la lune, il ne retournerait pas à la surface de la lune, mais deviendrait un satellite de la terre. Une telle impulsion pourrait même l'amener, après beaucoup de révolutions, à tomber sur la terre.
Mr. Harte calcule 6.000 pieds. Si c'est ainsi, une force trois fois plus grande que celle d'un canon enverrait un corps au delà du point d'égale attraction -- une force que déploient fréquemment les volcans et les vapeurs souterraines.
(...)


(Extraits d'une suite de notes manuscrites restées inédites jusqu'en 1902, et destinées, dès 1838-39, à la révision de l' "Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall".
Traduction de J. Crépet -- 1936.)

Sunday, September 19, 2004

(NOBLESSE)

(...) Il n'est pas de tartuferie plus méprisable que celle habituée à dénigrer le métier de comédien -- métier qui, en soi, cumule toutes les qualités capables d'élever et d'ennoblir, et qui n'implique absolument rien d'avilissant. Si, parmi les acteurs, certains, ou beaucoup, voire quasi tous mènent une vie dissolue, le mal ne vient nullement de la profession elle-même, mais bien des contingences malheureuses qui accablent celle-ci. (...) Le théâtre tient sa noblesse des possibilités considérables qu'il offre au développement du génie, dans des proportions qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Car c'est bien l'esprit du génie, nous l'affirmons, qui confère au théâtre son caractère noble, son caractère sacré -- par delà les railleries du sot et les indignations de l'hypocrite. Le coeur de l'acteur saignera décidément beaucoup s'il ne peut faire fi des médiocres, fussent-ils des rois. L'auteur de cet article est lui-même le fils d'une actrice -- il s'en est toujours glorifié -- et il n'y eut jamais de comte plus fier de son titre, que lui d'être le descendant d'une femme qui, quoique bien née, n'hésita pas à vouer au théâtre sa courte carrière de génie et de beauté. (...)


(Extrait du feuilleton de critique dramatique: "Au Théâtre", du 19 juillet 1845.
Non repris dans l'édition posthume de 1850.)

Sunday, September 12, 2004

(TROP SEVERE?)

J'ai connu des jours où je n'ai pas peu rempli la fonction d'Aristarque, des jours où l'on m'a même accusé de jouer les Zoïle. Pourtant ma conscience ne parvient pas à me convaincre de m'être rendu coupable d'une quelconque sévérité indue. Mes remords iraient d'ailleurs plutôt dans l'autre sens. Combien de fois, lorsque je me répandais en critiques louangeuses sur des ouvrages dont l' intention, la précision ou la piété suspectes n'auraient dû susciter que censure et blâme de ma part, combien de fois n'ai-je pas alors été violemment tenté de conclure par ces paroles fortes de Saint Augustin quand il parlait des livres des Manichéens : "Tam multi," disait-il, "tam grandes, tam pretiosi codices" -- ajoutant, comme incidemment, "incendite omnes illas membranas".


(Premier article des "Menus Propos Littéraires" -- janvier 1839.
Non repris dans l'édition posthume de 1850.
La phrase latine peut se traduire ainsi : "De si nombreux, de si gros, de si précieux volumes... mettez le feu à toutes ces pages!")

Friday, September 10, 2004

(PROVERBE BANCAL...)

Dans le manuscrit hébreux 172 (Proverbes, 18: 22), il y a, après le mot "icha", un espace effacé pouvant correspondre à la perte de trois ou quatre lettres. Qu'y verrait-on d'autre que "tova"? La traduction donne : "Qui trouve femme, trouve le Bonheur", -- une assertion mathématiquement indémontrable. Alors qu'en insérant le terme suggéré, nous aurions : "Qui trouve femme bonne, trouve &c...", -- soit, un axiôme que le chicaneur le plus pointilleux en matière de précision n'aurait aucun scrupule à déclarer formellement euclidien.


("Marginalia" -- novembre 1844.
Non repris dans l'édition posthume de 1850.
Les deux mots bibliques figuraient en caractères hébraïques indisponibles ici; le verset concerné se lit : "matsa icha matsa tov", comme cité par Gésénius, dans son lexique érudit bien connu de Poe, à l'entrée "TOV", ou "TOB").

Thursday, September 09, 2004

(PORTE-MONNAIES)

15.
Les bourses effroyablement longues , autant que des concombres géants, mises dernièrement à la mode par nos élégantes, ne nous viennent pas de Paris, comme on le croit généralement. C'est un produit tout à fait indigène. Le fait est qu'un porte-monnaie pareil serait étrange à Paris, où les femmes ne tiennent dans leur poche que leur argent. Au contraire la bourse d'une dame américaine doit être fort grande; il faut qu'elle puisse y mettre avec son argent... son âme.


(Quinzième entrée du feuilleton "Cinquante Suggestions" -- mai 1849.
Reproduite sous cette forme dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

(VIOLENCE JOURNALISTIQUE)

13.
Les journalistes me paraissent constitués comme les dieux du Walhalla, qui se coupaient en pièces tous les jours, et se relevaient en parfaite santé tous les matins.


(Treizième entrée du feuilleton "Cinquante Suggestions" -- mai 1849.
Reproduite sous cette forme dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

Wednesday, September 08, 2004

(A REBOURS)

Je ne puis m'empêcher de penser que les romanciers en général pourraient de temps en temps trouver leur compte à prendre exemple sur les Chinois qui, quoiqu'ils bâtissent leurs maisons en faisant le toit le premier, ont cependant assez de sens pour commencer leurs livres par le dénouement.


("Marginalia" -- juin 1849.
Reproduit dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

Tuesday, September 07, 2004

(INFLUENCES...)

Dites à un coquin trois ou quatre fois par jour qu'il est la fleur de la probité, et vous en ferez tout au moins le modèle du bourgeois respectable. D'autre part, accusez obstinément un honnête homme d'être une canaille, et vous lui inspirerez l'ambition perverse de vous prouver que vous n'êtes pas tout à fait dans l'erreur.


("Marginalia" -- juin 1849.
Reproduit dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

(LE CONGRES AMERICAIN)

Samuel Butler, l'auteur d'Hudibras, a dû avoir quelque rêve prophétique du congrès américain, quand il définissait une cohue : un attroupement, une assemblée des Etats Généraux, où chacun est d'un avis différent sur quelque question que ce soit. "Ils se rassemblent," ajoute-t-il, "seulement pour se quereller et ensuite retourner chez eux satisfaits et enclins à narrer."


("Marginalia" -- juin 1849.
Reproduit dans l'édition posthume de 1850.
Traduction d'E. Hennequin -- 1882.)

Monday, September 06, 2004

(CREDULES ET INCREDULES)

(...) Le "Canard au Ballon" a créé une sensation bien plus considérable que tout ce qu'on avait pu connaître dans le genre depuis la fameuse mystification lunaire de M. Locke. (...) C'était excessivement amusant (...) d'entendre les commentaires de ceux qui avaient lu cette "Edition Spéciale". Bien sûr, on pouvait observer une grande divergence d'opinion quant à l'authenticité du récit; mais j'ai surtout constaté que les personnes d'intelligence plus accomplie y croyaient, alors que la masse, elle, pour la plupart, rejetait tout en bloc avec dédain. Il y a vingt ans d'ici, la crédulité était le trait caractéristique de la foule, et l'incrédulité l'apanage des esprits philosophiques; à présent, nous avons la situation exactement inverse. Les sages ne sont plus enclins à ne pas croire... et c'est tant mieux. (...)


(Commentaire sur son célèbre "Canard au Ballon", extrait d'une lettre -- la deuxième d'une série de sept -- datée du 21 mai 1844, et publiée le 25 mai 1844 dans le "Columbia Spy" comme "Correspondance de New York".)