Monday, October 25, 2004

(IMPERITIE AMERICAINE?)

(...) Comme il est rare que nous soyons frappés par une impression de complète nouveauté à la lecture d'un article de revue américaine! Et comme cela se produit souvent avec les publications des magazines étrangers! La situation est telle, chez nous, que nous ne pouvons payer des articles travaillés, alors que la véritable invention est, en réalité, laborieuse. Il n'est pas de pire méprise que de supposer cette originalité vraie une pure affaire d'impulsion ou d'inspiration. Inventer, c'est combiner avec soin, avec patience, avec intelligence. Les quelques écrivains de revues qui en Amérique songent le moins du monde à ce travail soigné, ne peuvent l'exécuter par suite des misérables honoraires que leur offrent les éditeurs de ces revues. C'est pour cette raison et pour bien d'autres aussi évidentes que nous sommes en retard en cette très importante branche de la littérature dont l'importance va chaque jour croissant et qui finira à brève échéance par acquérir une influence prépondérante parmi les gens littéraires.
Nous nous montrons lamentables non seulement en matière de créativité, mais aussi en ce qui concerne plus strictement l'Art. Quel Américain se croit, en rédigeant une critique, par exemple, tenu de présenter à ses lecteurs quelque chose qui dépasse la portée du titre -- de leur présenter un billet critique... et quelque chose au delà? Qui pense à en faire, en dehors de l'exposition de ses propres opinions, une oeuvre d'art en soi, une oeuvre d'art analogue à celles très élaborées et très efficaces d'un Macaulay? (...)
Mais là où nous battons les records en matière d'inhabileté, c'est dans la composition de ce que l'on désigne sous le nom approprié de Contes, (...) leurs auteurs se révélant invariablement inaptes à la construction narrative. (...)


(Extraits de la nouvelle introduction au résumé détaillé et enthousiaste du "Peter Snook" de J. F. Dalton, que Poe avait déjà donné en octobre 1836, et qu'il reprend sous le titre plus ambitieux de "Ecrire pour les Magazines" -- juin 1845.
Inséré sous cette forme dans le quatrième et dernier volume de l'édition posthume, paru en 1856.
Traduction, quelque peu retouchée, d'E. Lauvrière -- 1904.)

Saturday, October 23, 2004

(LA MISSION DU CRITIQUE)

(...) Boccalini, dans ses "Avertissements du Parnasse", nous raconte qu'un jour Zoïle présenta à Apollon une critique très caustique d'un admirable poème. Le dieu demanda qu'on lui exposât les beautés de l'oeuvre, mais Zoïle répondit qu'il ne s'inquiétait que des fautes. Là-dessus Apollon lui donna un sac de blé non vanné, -- en lui infligeant la punition de l'éplucher grain à grain.
Cette fable peut servir de verges pour certaines épaules, mais je ne suis pas bien sûr que le dieu eût raison. Le fait est que les limites du strict devoir de la critique sont grossièrement méconnues. Nous nous hasardons à dire que, puisqu'on permet au critique de jouer, d'aucunes fois, le rôle de simple commentateur, -- puisqu'on l'autorise, par manière de pur amusement pour ses lecteurs, à mettre en belle lumière les mérites de son auteur, -- sa tâche légitime est encore d'en relever et d'en analyser les défauts, de montrer comment l'oeuvre aurait pu être améliorée, de combattre enfin pour la cause des Lettres, sans se préoccuper nullement des individualités littéraires. Bref, la Beauté doit être considérée comme un axiôme, qui, pour devenir évident, n'a qu'à être clairement énoncé. La Beauté n'existe pas si elle a besoin d'être démontrée comme telle: -- et ainsi, insister trop sur les mérites particuliers d'une oeuvre, c'est admettre implicitement qu'elle n'en possède aucun. (...)


(Extrait de l'article "Sur les Critiques et la Critique", rédigé dès janvier 1849, mais qui ne sera publié qu'un an plus tard. Il s'agit de l'ultime formulation de ce credo déjà exposé en février 1842 dans le compte-rendu critique du "Barnabé Rudge" de Ch. Dickens.
Reproduit sous cette forme dans l'édition posthume de 1850.
Traduction anonyme du "Mercure de France" d'avril 1892.)

Tuesday, October 19, 2004

(TROMPERIE)

(...) Je vais juste ajouter un détail qui, je le confesse, m'a été soufflé par un ami très proche. Le voici: -- pour expliquer comment son héros a pu échapper au Maelström, Mr Poe renvoie au "De Incidentibus in Fluido", lib. 2, d'Archimède et à cette observation selon laquelle "un cylindre, tournant dans un tourbillon, présente plus de résistance à sa succion et est attiré avec plus de difficulté qu'un corps d'une autre forme quelconque et d'un volume égal." Eh bien, l'ami proche en question affirme catégoriquement, premièrement, que l'observation avancée n'a absolument rien d'un fait établi et qu'elle est même contraire à toutes les lois connues; et, deuxièmement, qu'il n'existe aucun passage du genre dans le livre 2 d'Archimède, comme le prétend la référence. Troisièmement, il soutient que ni un tel passage, ni un quelconque autre qui lui ressemblerait, ne se trouvent le moins du monde dans Archimède, et qu'il met Mr Poe au défi de nous les montrer. (...)


(Autre extrait du canular inachevé: "L'Eplucheur Epluché" -- fin 1846.
La note mensongère, remarquons-le bien, Poe, dans son conte "Une Descente dans le Maelström", la donne, en fait, comme rapportée de manière incertaine par le narrateur...)

Monday, October 18, 2004

(AUTOCRITIQUE ?)

(...) Les articles critiques de Mr Poe me donnent beaucoup moins l'occasion d'aligner des louanges. Certes, ils arborent une érudition, et aussi ce talent particulier d'analyse qui constitue décidément le caractère dominant de tout ce qu'il rédige. Ils sont également remarquables de courage -- ce courage à la don Quichotte, qui pousse les personnes de la trempe de Mr Poe à perpétuellement brandir la lance, même si trop souvent il s'avère n'y avoir, au bout du compte, que de simples moulins à vent. Ajoutons encore cette qualité qu'il serait injuste d'omettre: jamais n'y trouve-t-on la moindre complaisance à l'égard de personnalités influentes, et les cibles n'y sont que fort rarement du petit gibier. Par contre, hélas, tous ses billets critiques paraissent, à mes yeux, d'une amertume extrême, tortueux, chicaniers et inutilement sévères. Mr Poe a été si fréquemment applaudi pour son art du sarcasme qu'il s'imagine obligé de préserver sa réputation en la matière à coups de moqueries incessantes et d'insultes délibérées. Si une oeuvre recèle quelques beautés, notre auteur semble avoir définitivement pris le parti de les ignorer, ou alors, s'il daigne en désigner une, voire aller jusqu'à la citer, le compliment, même bien commencé, on est sûr de le voir s'achever par une note piquante ou une réflexion acerbe, au point, du coup, de passer volontiers pour de la satire déguisée. Un éloge véritable, sincère, chaleureux, voilà bien la chose qu'il est hors de question de chercher dans les feuilletons critiques de Mr Poe. Et quand il a l'intention affichée de se montrer partial jusquà l'extravagance envers certaines de ses amies (un homme n'a jamais droit à pareille faveur...), on le surprend invariablement à glisser, sous l'épaisse couche de miel, une nuance de gêne ou de malice. Avec de tels défauts, ses jugements critiques ne présentent, on s'en doute, que vraiment fort peu de valeur. (...)


(Extrait du manuscrit inachevé: "L'Eplucheur Epluché" -- canular rédactionnel rédigé probablement fin 1846 pour le "Graham's Magazine", sous la signature fictive de "Walter G. Bowen", et dont l'intention et la construction fines ne nous sont, hélas, pas réellement connues.
Publié pour la première fois en 1896.)

Tuesday, October 05, 2004

(AU SECOURS D'HANS PHAALL)

(...) Mais que diable sont ces propos! Là, ça dépasse les bornes! De tels gibiers de potence, on devrait les poursuivre pour diffamation. Allons, messieurs, vous n'entendez rien à cette affaire. Vous êtes ignares en Astronomie... comme en tout, d'ailleurs. Ce voyage, il a bel et bien eu lieu... et bien été accompli par Hans Phaall. Je m'étonne, pour ma part, que que vous ne perceviez pas du premier coup d'oeil que la lettre -- le document -- est intrinsèquement... qu'elle est astronomiquement vraie, et que sa présentation même offre toutes les garanties de son évidente authenticité.


(Paragraphe qui, en juin 1835, concluait la version originale de l'"Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall", alors intitulée simplement: "Hans Phaall -- un Conte".
Poe le supprima définitivement dès sa révision de 1839.
A. Pichot qui, pour sa traduction de 1852, travailla sur le texte de l'édition posthume de 1850, et ne put donc pas connaître cette finale, ajouta pourtant, comme inspiré, deux phrases de son cru dans l'exact esprit de l'idée initiale de Poe. Nous les donnons ici à titre de curiosité:
"/.../ Nous ne saurions, pour notre part, nous associer à des propos aussi irrévérencieux. Mais, ayant, narrateur fidèle, mis les pièces du procès sous les yeux du lecteur, nous le laisserons formuler lui-même son opinion.")